Moulin à eau


Malgré la cheminée qui le surmonte depuis qu'on lui a donné l'assistance d'un moteur à vapeur, et malgré la vulgarité des constructions modernes  
qui enlaidissent son site, l'antique moulin de Basècles forme, avec son étang-réservoir, un coin dont le pittoresque doit charmer le voyageur  au
détour de la grand'route.  On aimerait le trouver loin du chemin de fer, des poteaux, fils télégraphiques, et autres laideurs de notre civilisation.
Joseph Gorlia (1938)


 

Bien que ce sujet ait été évoqué à plusieurs reprises dans les divers ouvrages qui ont paru sur notre village, il faut l'inclure dans tout site sur Basècles, tant sa présence marqua longtemps le paysage.

Jusqu'en 1960, Basècles fut orné d'un merveilleux miroir, gisant au coude d'un des multiples tournants de la voirie nationale qui traverse le village. C'était un vieil étang: note romantique dans ce quartier industriel.

Ce vivier avait servi de réservoir d'alimentation au vieux moulin à l'eauwe, médiéval et abbatial...

Les Baséclois d'un certain âge se souviennent de mémorables parties de pêche à l'épinoche qu'ils y firent au bon temps de leur enfance

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 ANCIENNETE

En l'an 1040, Henri le Noir, empereur d'Allemagne, fit don du village aux abbés de Saint-Ghislain.

Ce titre de propriété ne mentionne pas l'existence du moulin à eau ; cependant les moines indiquent dans une déclaration forcée en 1787 que «le moulin de Basècles, avec 4 bonniers 3 journels de pâture, et 120 verges de prés, est affermé au rendage annuel de 700 livres. Le titre de l'abbaye à cet égard est la donation ou confirmation de l'empereur Henri en 1040».1

Dans un obituaire de 1422 (registre contenant les noms des morts, les lieux de sépulture), un meunier, Collard, est déjà signalé à Basècles ; puis en 1450, un cartulaire (recueil des droits temporels de l'abbaye) signale un autre «monsnier Jehan du bos».2

D'ailleurs, une cinquantaine d'années plus tard, notre «Jehan du bos, monsnier séant dalé le moulin» est toujours connu. Puis, viennent les occupations successives du moulin par un carlier (charron) nommé Jehan Robert en 1575, par Guillaume d'Ath en 1586 (le d' n'est pas une particule nobiliaire mais signifie venant d'Ath), par Jean Lefebvre en 1589.
En 1602, le moulin à l'eau tombe en ruines depuis un an et plus, le seigneur de Basècles fait édifier un neuf moulin. En 1604, il est tenu à cense par Antoine Griffon, pour 100 livres, par bail de 9 ans; il tenait aussi les viviers du dit lieu, et payait en tout 325 livres; en 1614, 400 livres; en 1621 et 1625, 440 livres.

Jean Delguste a tenu à cense le moulin du dit Basècles, pour le terme de 3 ans au rendage de 500 livres l'an, échus au Saint-Remy 1655. En 1656, le moulin a été sans fermier, et dom Placide y ayant résidé pour le conserver, les frais ont été aussi grand que le profit 3 . Pendant les années 1657 et 1658, il a esté travaillé au moulin au temps que dom Placide résidait à la cense de Saint-Martin, pour un total de 3.636 livres. Floris Espel retirait 550 livres en 1668 pour deux années de rendage de la nouvelle cense du dit moulin. En 1698, Etienne Quisnion finissait son bail de 9 ans, au rendage de 400 livres.4 

En 1701, Philippe Cardon cultivait 20 bonniers de terre et occupait le moulin, qu'il abandonna après 1720 pour tenir auberge, laissant le moulin à la veuve Pierre Desclée; elle en rendait 500 livres en 1725. En 1726, le moulin passe à son beau-fils joseph Robette, de Wadelincourt.
Nicolas-joseph Mauroy et sa femme Marie-Louise Desclée étaient fermiers du moulin de Basècles, depuis 1751, lorsque leur fils Philippe-Joseph Mauroy épousa, en 1782, Marie-Joseph Daudergnies, fille du fermier de Saint-Martin.
En 1795, Marie-Louise est veuve lorsqu'elle signe un nouveau bail établi au nom de Veuve Mauroy.

Vers cette époque, les événements de 1789 ayant mis fin à l'Ancien Régime, La tutelle abbatiale va s'éteindre, à Basècles comme ailleurs.


1  Bruxelles, Archives du Royaume, Chambre des comptes, n° 4.69.01
2 Comptes de Saint-Ghislain: 1696 à 1698. Archives de l'Etat à Mons.
3 Comptes de Saint-Ghislain: 1652 à 1670. Archives de l'Etat à Mons.
4 Cartulaire général de St-Ghislain 1450 .Archives de l'Etat à Mons.

VENTE FORCEE

De 1794 à 1814, sous la domination française, le comté de Hainaut s'appela département de Jemmappes. Le Directoire élabora des lois de nationalisation et de vente, une partie de cette législation était relative à la suppression des corporations religieuses avec notamment la vente publique des biens du clergé.

Cependant, il y avait une modération à ces mesures sévères.
En effet, dès 1796, les membres des ordres religieux avaient reçu des bons de retraite leur permettant de racheter certains biens nationaux. Clémence inutile car, vu la condamnation de la vente et de l'achat des biens nationaux par le Pape Pie VI (bref de 1791), le clergé ne voulut pas accepter ces bons de retraite ! Le riche patrimoine ecclésiastique était ainsi voué à la dislocation, à la ruine..

Le Saint-Siège sentit un peu tard le danger et, le 4 février 1797, il engagea le clergé à se servir des fameux bons. Ce sage avis n'arriva dans notre département que vers la fin du mois de mars 1797 : la période de remise des bons était terminée ! Ceux qui n'en avaient pas voulu le regrettèrent amèrement mais...

En ce moment-là, la France était dans une situation financière tragique. Le Directoire fut forcé d'accepter des fournitures importantes à long crédit de diverses compagnies commerciales et financières. Ces créanciers mercantiles allaient profiter des difficultés de remboursement pour faire pression sur le Directoire et réaliser de plantureux bénéfices au cours des aliénations de biens nationaux. C'est ainsi qu'une grande partie de ceux-ci ayant appartenu au clergé ou à certains nobles émigrés fut vendue à vil prix à diverses sociétés financières...

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A Basècles, les dépendances de l'abbaye de Saint-Ghislain (moulin à eau, grande cense, ferme Saint-Martin, diverses terres...) firent l'objet de ventes publiques.

Le 14 nivôse An VI (3 janvier 1798), le citoyen Richer, ingénieur des Ponts et Chaussées du département, vint à Basècles, pour enquêter sur l'utilité du moulin à eau. Comme son rapport était positif, l'idée de démolition fut écartée et la vente publique décidée.

Le 21 fructidor an VI (8 septembre 1798) paraît l'affiche de l'adjudication du moulin à eau de la ci-devant abbaye de Saint-Ghislain :

« Un moulin à eau pour farine, avec maison y contiguë consistant en 6 places, 2 écuries, une remise à chariots, une étable de vaches, une petite grange, un fournil, le tout couvert de paille, bâtis sur quatre bonniers de prairie, avec l'étang du moulin et un enclos de trois journels, le tout affermé par bail qui expirera en l'an XI à la citoyenne veuve Nicolas Mauroy, moyennant un rendage annuel de 400 livres, porté à un revenu, à l'époque de 1790, de 700 francs et en capital à la somme de 14.000 francs. Il est observé par la fermière que les harnats travaillant du moulin lui appartenaient.»

Le marché fut boiteux dès le début et l'affaire nécessita quatre séances pour se conclure :
1) Le 8 vendémiaire de l'an VII (29 septembre 1798), aucune surenchère à la mise à prix de 5.600 francs.
Marché remis.
2) Le surlendemain : un amateur pour 7.000 francs-or.
Jugé trop bas.
3) Deux jours après: Emmanuel Haron enlève le marché pour 7.035 francs. Cependant, il ne peut payer cette somme et...
4) Ce qui doit arriver, arrive. Une de ces fameuses sociétés financières précitées fait son apparition : la Compagnie Bodin de Paris est déclarée «acquéreur définitif» pour la modique somme de 6.000 francs-or. (Moins que la moitié de la valeur vénale d'estimation !)
C'était le 16 messidor de l'an VIII (6-7-1800).

Bien entendu, la société parisienne n'avait nullement l'intention de conserver le moulin à eau de Basècles. Deux ans plus tard, le 1 er septembre 1802, la vieille usine devint la propriété d'un certain David Mevins, de Bruxelles, lequel la céda finalement à François Duelz, époux de Brigitte Mauroy et gendre de Marie-Louise Desclée (veuve de Nicolas-Joseph Mauroy).

PENURIE D'EAU

Le moulin supporta sans broncher toutes ces tribulations, puis reprit son activité d'antan. Une activité souvent contrariée par le manque d'eau...

En effet, depuis la disparition du réservoir latéral de Saint-Martin, le bief se révélait parfois insuffisant. Ce n'était d'ailleurs pas une nouveauté puisque, déjà le 3 décembre 1787, Jacques-François Daudergnies prétendait que «le village de Basècles de 900 habitants, a pour haut-justicier son comte l'abbé de Saint-Ghislain qui revendique le droit de banalité pour son moulin à eau, alimenté par un «bié» qui est nourri par de petites sources qui viennent des environs... Il a un seul tournant avec une couple de pierres, on ne peut y placer un second tournant. Le «bié», lorsqu'il est plein, peut tout au plus faire tourner le moulin pendant six heures de la journée s'il n'y a pas de sécheresse...»

Mais le XIXme siècle était en marche. L'eau et le feu allaient s"unir - singulier paradoxe - pour créer une forme d'énergie nouvelle : la vapeur.

DERNIERS MEUNIERS

Le 19 octobre 1858, Jean-Baptiste Letot, meunier, sollicite des autorités communales l'autorisation d'installer une machine à vapeur de 8 CV, «pour mettre en mouvement un moulin à farine tenant à la chaussée de Mons, à Vve Cornu, à Héraut Anthoine, à Vve Dufourny, à Vve Espel et au chemin des prairies». L'autorisation fut immédiate.

Fébrilement, on installa la dévoreuse de charbon dans une des deux petites constructions à pignons qui se trouvaient près du moulin, puis l'on construisit l'inévitable grande cheminée.

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Pauvre vieux moulin ! Cette chandelle fumante n'était pas faite pour l'embellir!... Mais l'euphorie de la vapeur ne supplanta jamais entièrement les forces de l'élément aqueux.

Des Letot, le moulin passa aux Foucart.

En 1914, au soir d'une longue journée de travail, Anatole, le fils du meunier, prit froid et mourut quelque temps après, victime de la grippe asiatique. Il avait un peu plus de vingt ans...

La fille du meunier se maria avec M. Coxyns, un fermier-marchand de bestiaux qui habitait Leuze.

En 1922, les époux Coxyns-Foucart installèrent dans le moulin un de leurs amis, originaire de Wodecq : Eloi Thomas, qui exerçait le même métier. Celui-ci s'adjoignit aussitôt trois personnalités assez populaires à l'époque. D'abord Nanard, el querton cachant à monnées (commissionnaire cherchant le grain à moudre), ensuite Paul qui faisait tourner le moulin (le véritable meunier, en somme) et enfin le sympathique domestique, dit Milo.

Ainsi encadré, Eloi Thomas décida, avant toute chose, de nettoyer le vivier afin d'en augmenter la capacité.

Quel nettoyage ! Pendant six semaines, avec sept chevaux, on évacua mille deux cents barottées de gadoue que l'on déversa sur les prairies... Du coup, la hauteur d'eau augmenta et les valeurs énergétiques du vivier revinrent à l'honneur !

Eloi, d'accord avec Coxyns-Foucart, entreprit le démontage de la machine à vapeur et le monstre à balancier finit ses jours dans le ventre d'un haut-fourneau...

Pourtant ce départ se fit sentir et un industriel baséclois, Floran Bouchez, fut chargé d'installer un moteur électrique «en cas de sécheresse du vivier».

En 1931, Eloi Thomas ne renouvela pas son bail. Pendant une courte période, dix-huit mois à peine, un autre meunier, venu de Saint-Maur, fit tourner le moulin.

Le dernier meunier locataire s'amena en 1934. Fernand Mahieu combina, lui aussi, l'énergie électrique et la force hydraulique, l'une suppléant aux défaillances momentanées de l'autre.

Le temps s'écoula et il passa beaucoup d'eau au moulin..
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Après la Libération, en 1945, lasses sans doute de leurs six siècles de labeur et vaincues par les minoteries modernes, les vieilles meules s'endormirent d'un profond sommeil...

Quinze ans plus tard ,le vivier fut remblayé !

En février 1970, les démolisseurs apparurent, abattirent les vieux murs, effacèrent les vestiges antiques. Seuls subsistent les souvenirs.

                                                                               


 

 
 

          MECANISME

moulin-a-eau-photo-delforge.jpgLe moulin était construit sur trois étages et un rez-de-chaussée. On y entrait par l'habitation du meunier.

La salle des transmissions, en bas, était dallée de pierre bleue de Basècles ; les étages étaient établis sur gîtages en chêne.

 

Le mécanisme hydraulique était évidemment simple de conception. D'abord le vivier, à son niveau maximum après la fermeture de la vanne de la Fausse Verne, derrière Saint-Martin, constituait une importante réserve d'énergie. Le plan d'eau atteignait près de 3,50 mètres au-dessus du niveau du Chemin des Prés.
Le meunier ouvrait alors la vanne du moulin et l'eau du vivier s'engouffrait dans les godets métalliques de la roue à aubes.
Le poids de cette eau déséquilibrait le système et le mouvement giratoire était ainsi créé... jusqu'à ce que le vivier soit à sec. Ce mouvement était transmis à une fusée maîtresse par le truchement d'une combinaison d'engrenages en bois et en fer. La dite fusée, munie d'un énorme hérisson (roue horizontale transmettait la rotation aux tournants (paire de meules), au bluttoir du deuxième étage et au nettoyeur de graines du troisième étage.
Evidemment une prise de force permettait de monter les sacs de blé au troisième étage puisque c'est là que le travail commençait.
Le moulin à eau était muni de trois tournants (paire de meules) : deux de 1,80 m de diamètre pour l'avoine et les céréales fourragères, un de 1,60 m pour le blé.
Toutes ces meules en pierre naturelle dont la denture, disposée de façon à dégorger la farine au fur et à mesure de la mouture, devaient être rebattues manuellement tous les 14.000 à 15.000 kilos de céréales.
La roue à godets mesurait environ 3,50 m de diamètre, elle fut découpée au chalumeau et vendue à la ferraille en 1950.

 

 


SOURCES

Joseph GORLIA. Histoire de Basècles Village de la chatellenie d'Ath 1938.

Jean LEBLOIS. Basècles bâti sur roc 1972

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021

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