Funérailles civiles

1er enterrement civil à Basècles

Compte-rendu du 1er enterrement civil à Basècles le dimanche 19 mars 1899 (Le Peuple 25/03/1899 )

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Il est peut-être difficile d’imaginer aujourd’hui que la grande césure politique divisant la Belgique au XIXe siècle (et encore au début du XXe siècle) n’est ni linguistique, ni fondée sur des différences de programmes socio-économiques. C’est l’affrontement entre catholiques et laïques qui est alors fondamental en Belgique.
Les terrains sur lesquels les deux camps s’affrontent concernent la maîtrise de la charité et de la bienfaisance (soit religieuse, soit sécularisée, par exemple au niveau communal), de l’enseignement (religieux ou laïque) mais aussi de l’espace.
Joseph II avait tenté une première intervention séculière dans l’organisation des cimetières. Il avait notamment voulu (suivant des motivations – ou des alibis – hygiénistes) séparer les cimetières des églises et les installer hors du centre des villes ou des villages. Mais la réforme est peu réussie. De fait, en 1850 la majorité écrasante des cimetières entouraient ou jouxtaient encore l’église.
Le gouvernement provisoire belge de 1830 qui réunit catholiques et libéraux proclame le respect des différentes libertés Cette situation conforte pourtant la domination de l’Église catholique sur l’espace et les paysages. Dans les zones rurales, les cloches rythment les heures, les temps de prière et les saisons de la vie.
Juridiquement la question des cimetières est d’une extraordinaire complexité. Le décret du 23 prairial an xii (12 juin 1804) influencé par le Concordat et manifestement adapté davantage à la situation française que belge, prévoyait différents cimetières ou des parcelles différentes avec des entrées différentes pour les différents cultes, mais rien pour les « sans religion ».
Mais la Constitution belge de 1831 prévoyait la séparation des pouvoirs et les dispositions du décret étaient donc incompatibles et caduques. De plus rien n’était encore une fois prévu pour des « sans religion ». Les enterrements civils étaient théoriquement autorisés, mais difficiles en pratique car le matériel était monopolisé par les autorités religieuses qui avaient aussi la clé du cimetière. Les « sans religion » finissaient donc régulièrement dans le coin des réprouvés appelé aussi « trou aux chiens ».
La position de l’Église est alors la suivante : le cimetière est une terre qui a été bénie et qui, par cette bénédiction, est devenue une « terre sainte ». Elle ne peut accueillir dès lors que les corps des fidèles. Ce serait la profaner que d’y introduire ceux qui sont morts sans être réconciliés avec l’Église. Pour les incroyants, il faut un autre lieu de sépulture, en dehors du cimetière consacré. Le problème naît de ce que, pratiquement, tous les cimetières communaux de Belgique ont forcément été « consacrés » par les prières et les bénédictions de l’Église catholique et doivent donc être réservés à ceux qui meurent dans la communion catholique.
La situation de relégation des « incrédules » va devenir de plus en plus criante au fur et à mesure que se développe un mouvement de libre-pensée et que les francs-maçons belges se détachent de l’Église. Progressivement, l’idée libérale de cimetières communaux ouverts à tous, sans distinction d’appartenance religieuse ou philosophique, soumis à la seule autorité communale fit son chemin en Belgique. Pour éviter ces conflits d’autorités – qui, tous, avaient pour base le fait que le cimetière était à la fois une terre communale et une terre bénie –, les libéraux vont proposer que les fosses soient creusées les unes à la suite des autres sans distinction de cultes, et bénies individuellement.
Malgré ces obstacles, les enterrements civils se multiplient en Belgique dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Sauf dans les villages reculés, au cours du XXe siècle les funérailles laïques sont devenues banales et le monopole catholique de fait en cette matière a été brisé.
On est passé en un siècle d’une situation où l’enterrement et la place du défunt au cimetière étaient des instruments de domination du clergé – qui avait le pouvoir de faire enterrer ses adversaires dans le coin des réprouvés – à une situation où les funérailles civiles n’ont plus le caractère de manifestations anticléricales. On voit dès la fin du XIXe siècle des hommes politiques catholiques assister à des funérailles civiles comme des hommes politiques laïques assistaient déjà aux obsèques religieuses de leurs collègues catholiques.

La solution adoptée en Belgique semblait idéale : le cimetière laïcisé est ouvert à tous, les fosses sont creusées les unes à la suite des autres et chaque famille décide de ce qui s’y fera pour son défunt, selon ses convictions. Par ailleurs, aujourd’hui la question des cimetières n’y est plus que résiduaire puisque une proportion quasi majoritaire de la population – du moins dans les villes belges – se fait incinérer (40% des décès en 2008) .

Malheureusement, en Belgique où la sécularisation des cimetières a donné toute satisfaction pendant un siècle, ce système a été remis en question pour réserver des carrés spécifiques aux musulmans, carrés par ailleurs peu utilisés jusqu’à présent. Les morts de toutes croyances ne se côtoient donc plus.

Source : "L’espace du cimetière et les cortèges d’enterrements comme enjeux de pouvoir entre laïques et catholiques ( Anne Morelli )"  

Date de dernière mise à jour : 28/03/2018

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